mardi 25 août 2009

Inaptitude

Si j'avais du courage, voire ... de l'audace, voici le mail que j'enverrais à la rédaction du quotidien Le Monde :

"Madame, Mademoiselle, Monsieur,

C'est avec une légère érection doublée d'une constipation assez entêtante que j'ai lu le captivant article de votre consœur Elise Barthet, "Ma vie sans Internet", tentative particulièrement audacieuse pour ne pas dire téméraire de se passer du Ouèb une semaine durant. En cent mots comme en dix et pour faire ampoulé, ce témoignage Proprement poignant m'a Proprement bouleversifié ; le choix de cette jeune femme, à des fins d'expérimentation sociale et personnelle, de se couper d'Internet pendant une semaine entière est Proprement époustouflant de... les adjectifs me manquent alors je vais dire audace mêlée d'un courage Proprement insensé. Proprement. Et encore, j'en ai proprement sous le pied.

Si vous pouviez encore émettre quelques doutes, à présent vous n'en avez plus : faire de la prose, ce n'est pas simple et vous pouvez donc me pardonner les multiples répétitions dans ce pensum non relu. Pour en revenir à Elise Barthet, je dois vous dire qu'elle me fait des frissons. Ce n’est plus de l’amour, c’est du bombardement tactique. J'aimerais la pilonner pendant vingt minutes d’horloge comme si je voulais lui faire payer quelque chose, comme si je voulais la punir de quelque chose que même moi j’ignore… Ou peut-être quelque chose comme un article sans intérêt que j'ai monté en exergue histoire d'alimenter un blog qui s'essouffle.

Et certes, ce ne fut assurément pas facile. CSP a souffert. Dans sa chair. Dans son âme. CSP, c'est moi. Et quand je parle de moi à la troisième personne, ça me rend turgescent. Prenez par exemple ceci :

"Je suis capable d'empathie, il m'arrive même de presque ressentir des émotions quasi-humaines, c'est dire. Cette dictature du sentiment et de l'émotion à tout prix est assommante, à la fin. Ceci dit, je suis peut-être un robot, aussi, admettons."

C'est simple : j'ai failli fondre en larmes. Un tel moment de lucidité, moi, grosse brute épaisse aux doigts trop larges pour mon petit clavier et qui doit relire douze fois mes pénibles saillies pour en retirer (sans jamais y parvenir tout à fait) les multiples coquilles, je découvre qu'un MONDE existe en dehors de mon blog, du "N"PA, de la dure lutte finale, et l'abîme aussi regarde en moi. Et rigole.

Subissant les mesquineries cruelles de mes collègues, tourmenté par des chefs d'un cynisme qui glace le sang, désorienté par la perte de mes repères, je ne me laisse pas abattre : je dois écrire mes articles. Je le dois. Il le faut. C'est mon devoir. Et là, dans un geste à la fois sublime et quasi-suicidaire, je me me jette (avec la répétition, c'est encore plus violent) dans l'irréparable : je décide, viril soudard de la cinquième colonne, d'aller acheter ma cargaison hebdomadaire de Marianne, Les Inrockuptibles, et le cru du jour de Figaro. Pas parce que je suis de droite. Non. Pour documenter mon blog.

À ce moment, il a fallu que l'interrompe (parce que je vous dis que j'ai des gros doigts) mon écriture pour aller au Casino du coin de ma rue me réapprovisionner en Kleenex. Tous ces hoquets me faisaient riper sur les touches humides de mon clavier.

Bucolique, n'est-ce pas ?

La description, dantesque, de mes activités (oui, vous avez bien lu : mes activités ! Mais dans quelle démarche folle me suis-je donc risqué ?) achève le lecteur par la découverte d'une réalité qu'il ne pouvait qu'à peine soupçonner : il y a un Casino, antenne locale d'un capitalisme débridé broyeur de caissières, de manutentionnaires et d'agents de surface, pas loin de chez moi, que je maintiens en vie par mes achats répétés au lieu de diriger l'intégralité de mon surplus à vivre vers les caisses du Parti.

J'ai honte.

Et si seulement ça s'achevait là...

Mais rien. Non. Rien de ce tétraplégique périple au fond de l'ennui ne vous sera épargné.

"Cette zone grise n'a pas de contours nets, ce n'est pas une force politique en tant que telle, c'est un climat idéologique qui légitime et encourage l'injustifiable. Et grâce aux gens qui se meuvent là-dedans, on a un gros problème de racisme de masse sur les bras."

Voilà : ce que vous venez de lire, c'est tout moi. Une conclusion bateau sur un torrent de platitudes. Ok, c'est une image résolument maritime mais parfaitement adaptée puisqu'on distingue nettement les trous dans la coque et la barcasse qui coule.

Avec mon quotidien et mes hebdomadaires chrétiens démocrates sous le bras, j'ai pris d'assaut la pharmacie du quartier en exigeant les laxatifs les plus violents possibles. Proprement !

Et la fin de mon article, qui atteint un tragique que n'aurait pas renié un Butch enamouré, nous fait Proprement toucher du doigt l'absurdité de l'humaine condition. J'y parle de suicide, multipliant les adjectifs pour faire du volume sur un sujet squelettique, je me lance dans un long (et assez indigeste) paragraphe qui, s'il fait chier le lecteur, continue à me constiper vigoureusement les entrailles.

On n'en sort pas.

Les pompiers m'ont vu en pleine exhibition sur le pont des Catalans. Avec mon mascara qui avait coulé de toutes ces larmes non retenues, je devais avoir un air terrifiant. Quand ils sont venus me chercher, j'ai tenté de pécho. Sans succès. Butch l'a appris. Il boudera ce soir.

Mais ce n'est pas pour ce témoignage que Madame, Mademoiselle, Monsieur, je vous écris présentement.

C'est afin de rien moins que de postuler au poste de journaliste au sein de votre rédaction.

En effet, je me suis rendu compte avec éblouissement que tout ce que faisais ces jeunes gens, c'était la même chose que moi : des fautes de frappes, d'orthographe, pas de relecture, des informations certes amusantes mais sans aucune pertinence, le tout rassemblé dans la rédaction quotidienne de plus en plus bâclée d'articles approximatifs. Je peux assurément et aisément et proprement remplacer (avec audace) au pied levé n'importe lequel de ces glands. Et inversement : n'importe lequel de ces glands peut me remplacer au pied levé, on n'y verra que du feu. Et le fait qu'ils aient fait Science-Po Paris et pas moi n'est absolument pas un problème, même si je crève de jalousie à l'idée qu'ils auront accès à des choses auxquelles je n'aurais jamais la moindre part, et je m'en défendrai Proprement avec la dernière véhémence. Mon égo étant ce qu'il est, et même s'il y a 600 km entre Toulouse et Paris, il a déjà du facilement atteindre votre rédaction. Ne suis-je pas Le Blogueur de Gauche Le Plus Moqué de la Blogosphère Française ?

Nous sommes d'accord.

Pour ces raisons, Madame, Mademoiselle, Monsieur, vous ne pourrez que répondre favorablement à ma pitrerie, qui me permettra de gagner grave de thunes sans bouger de chez moi, pour une ou deux heures de boulot max. Parce qu'en plus, oui oui, je m'imagine crouler sous le fric que pourtant je honnis de tous mes petits poings serrés, pour mes superbes articles finement poncés à la toile émeri de mes nombreuses relectures et de mon esprit affûté comme un paquet de chips. Je vous assure ainsi une fourniture ininterrompue de billevesées convenues, ma plasticité intellectuelle m'autorisant toutes les répétitions du mot audace.

Bien à vous et veuillez agréer toutes ces sortes de choses,

CSP".

2 commentaires:

Anonyme 26 août 2009 à 16:24  

Ce serait marrant de voir le reportage de CSP vivant une semaine sans capitalisme.

Crétin Socio-Pathe 26 août 2009 à 16:28  

Bah, il dit lui-même qu'il veut « gagner grave de thunes », donc il reconnait lui-même qu'il en serait incapable... D'ailleurs, sans le capitalisme, le National Antikapitalistische Partei (NPA) n'existerait même pas... Et Thierry serait obligé de trouver une autre explication à son vide existentiel.

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