mardi 29 septembre 2009

Chiens chiants



Il aura donc fallu attendre un 24è suicidé à France Télécom pour sabrer le jéroboam de Kro chez les trotskistes thanatocrates, pour se décider enfin à ruer dans les brancards, admettre qu'il y a moyen d'en tirer profit en faisant monter la pression - et en pression, ils s'y connaissent, monaco compris. Exploiter politiquement l'affaire en criant au salaricide capitaliste. Une aubaine, vous dis-je, que cette série noire. Il n'y a pas de raison que seuls les journaleux charognards se gavent, nous aussi on veut en croquer. D'ailleurs ça tombe à pic, la mort nous va si bien.

On peut supposer qu'il faudra encore encourager les cadres dans leurs pulsions suicidaires pour commencer d'envisager une nouvelle campagne d'indignation et de dénonciation. Et là encore ça tombe bien, puisqu'au "N"PA nous sommes des champions de l'indignation, mais surtout de la dénonciation. A ce titre, inutile de vous dire, camarades lecteurs, de quel côté nous étions sous l'occupation.

On peut se demander aussi avec une gourmandise de hyène affamée à partir de combien de décès on pourra pousser un Haro de clameur et commencer à exiger la collectivisation comme Solution Finale aux problèmes d'une entreprise pourtant parapublique et fonctionnarisée.
Ce dont on peut être en revanche certain, c'est qu'on commence déjà à entendre nos glapissements satisfaits de chacaux ... heu ... chacals enragés en faisant claquer nos mâchoires carrées pour défendre coûte que coûte la nazionalisation de France Telecom. Notre cher modèle économique kolkhozien, qui jamais ô grand jamais, ne saurait quant à lui être une seule seconde remis en question, puisque c'est quand-même la base de notre core business : la nationalisation des moyens de production.

Nationalisons! Le nationalisme, c'est mal... sauf quand c'est notre Besancenouille d'amour qui l'applique.

La nationalisation contre le mondialisme apatride et cosmopolito-libéral, c'est le pied !

National notre socialisme ?
Oui, mais c'est pour la bonne cause.
En rouge et noir, parce qu'on le vaut bien.

Et même si l'arsenal de sévices collectivistes n'a jamais produit autre chose que des pénuries et des queues interminables devant les magasins, l'important est de continuer à tourner autour de nos vieilles lunes comme un satellite Soyouz en trajectoire inertielle. Cette obsession s'appelle Le Trotskisme et les gens qui raisonnent ainsi en dépit de la cohorte de victimes de ce système ne peuvent décemment être comptées au rang d'être humains normalement constitués. D'ailleurs c'est pour ça qu'on se laisse pousser les muscles, afin de ressembler à des sursinges remontant le cours de l'évolution.

Plusieurs options s'offrent à nous pour faire un maximum de bruit et flatter les bas instincts des masses en jouant sur les peurs. D'abord nous pouvons, chiffres à l'appui, prétendre que le taux de suicides à FT est anormalement élevé et que c'est la faute au complot ultranéo-libéral, en reprenant la rhétorique de Ich Bin Partout. Ce, alors qu'il est dans la moyenne du taux ordinaire des fonctionnaires et comme on les comprend, d'une certaine façon, c'est pas facile tous les jours d'être un rouage de la machine bureaucratique. Mais l'important est de s'agiter en réclamant vengeance et en désignant un coupable, l'ennemi de classe, ça va de soi.

Faire du scandale.

Un bon chacal doit savoir faire feu de tous bois, et ne reculer devant aucun scrupule pour attirer quelques nouveaux illuminés dans la Secte des Riants Lendemains qui Chantent, normalement étudiants gréviculteurs engagés et totalement formatés cela va de soi. Nous prendrons donc n'importe quels chiffres trouvés dans une source amicale comme le Monde Diplo, pour les tordre en composant une musique triste propice à encourager les cadres à se jeter par les fenêtres. Chantons ensemble, tous ensemble : "Qui ne saute pas n'est pas fonctionnaire-naire!"

C'est ici qu'intervient notre savoir-faire en sociologie de bazar & théories fumeuses, le refrain bourdieucompressé pitoyable sur l'aliénation digne des comédies mélodramatiques les plus larmoyantes, qui sont le nerf de notre propagande. Certes mais me direz vous, cela montre aussi notre hypocrisie totale et un cynisme d'acier, puisque nous devrions nous réjouir de l'auto-suppression de cadres bourgeois si nous étions dotés une once de cohérence. En "oubliant" au passage que l'augmentation des cadences résulte largement de l'application forcenée des 35H par la grande prêtresse de la Planification du Temps de Travail, réforme socialiste s'il en est, qui faisait d'ailleurs partie du programme de l'ex-URSS. C'est vrai, mais comme nos adeptes ont déjà la cervelle ramollie par une culturation festive, on peut émettre un doute raisonnable sur leur capacité à s'arrêter sur ce genre de considération. Nous "oublierons" aussi que comparer des taux de suicides nationaux avec ceux d'une entreprise n'est rien moins qu'une tentative éhontée de désinformation. Préférons plutôt le terme de manipulation, plus conforme à notre culture entriste des coups tordus.

En tant que militants fanatisés, il est impératif de renoncer à toute forme d'honnêteté intellectuelle, encore que de toute façon nous n'en soyons pas pourvus naturellement. C'est une condition indispensable si l'on veut parvenir à grossir nos troupes de Sans-culottes, comme on s'appelle entre nous, non sans un frisson d'excitation humide (Butch, ce soir, tu es bon pour un dressage vigoureux). Il faut que l'idéologie du kolkhoze tienne debout à tout prix, c'est une question de survie (du mouvement).
La seconde option sera de faire la fine bouche en suggérant que se jeter en l'air est un acte de protestation politique et que cela ne peut pas se réduire à un genre de mode iconoclaste, n'est-ce pas.

Le chacal trotskiste enragé n'aime pas la réalité, qu'il passe son temps à dissoudre benoîtement par ses litanies et psaumes appris dans la chaleur partisane d'un entre-soi hermétique à tout bon sens. Ignorer l'expérience, réviser, nier, trépigner, s'auto-hypnotiser avec des slogans creux, relève d'un habitus solidement ancré dans la culture du Parti, puisqu'Un Autre Monde Plus Chiant est possible. Un monde où l'on empêcherait les salariés de se suicider en planifiant leur existence, un monde où les gens ne regarderaient plus la télé mais où la télé les surveillerait.

Alors même qu'il est manifeste que l'ambiance dégueulasse qui règne à FT vient de ce que cette entreprise est administrée sous la tutelle de technocrates et qu'elle jouit de menus privilèges monopolistiques lui permettant d'exercer une concurrence déloyale dans le secteur, il est essentiel de jouer un rôle de composition misérabiliste sur le capitalisme sauvage, qui donne encore davantage envie aux salariés de se suicider, en leur suggérant plus d'idées noires et en les démoralisant au maximum. Puisqu'il en va de notre intérêt bien compris à la pêche aux gogos sur le marché électoral.

Il nous faut plus de morts, donc plus d'incitations pousse-au-crime. Si le slogan libéral est "enrichissez-vous", le notre serait plutôt "suicidez-vous". Et comment ne pas développer de tendances suicidaires en adhérant à une idéologie aussi vindicative que la notre ?
D'ailleurs, c'est effrayant le nombre de communistes qui ont mis fin à leurs jours par dépit, comme l'intellectuel trotskiste Boris Fraenkel, l'homme qui a révélé le passé trotskiste de Lionel Jospin. Sans parler de ceux qui comme l'étrangleur Althusser, ont sombré dans la pulsion de mort et succombé à la folie furieuse à force de lire Marx. Ou des gauchistes radicaux qui sont passés du maoïsme à la clandestinité et de la clandestinité au terrorisme, avant de devenir des icônes de la LCR, répétant un parcours militant aussi tragique que balisé.

Un bon chacal doit aussi chercher à créer une diversion en utilisant grossièrement les campagnes de presse morbides faisant leurs choux gras de ces faits divers, en amalgamant émotion avec interprétations doctrinaires dans un mélange indigeste. Ce genre de mise en scène permet de contribuer à alourdir le climat mortifère en y ajoutant une dose de fatalisme sortie d'un nanar d'épouvante à grand renfort de malédictions obscures. Notre concerto pour pleureuses se fait alors requiem, violons et pipeaux entrent en action, les crécelles battent la mesure, et les petits chefs, Besancenot en tête de gondole, montent alors au créneau dans les médias pour rajouter une couche d'indignation hypocrite, l'œil rivé sur le trouillomètre, en ânonnant des anathèmes calibrés pour faire sangloter dans les chaumières.

Par la montée en puissance graduelle de la haine et du ressentiment, nous pourrons alors capitaliser la récupération politique de ces morts en soi anecdotiques, en s'indignant en chœur avec nos camarades frondegaucheux et Mélenchon, en entonnant un de ces canons pathétiques et vibrants de sentimentalisme baveux, puisque par calcul, il faudra bien qu'ils se rallient au "N"PA, à nos conditions bien sûr, ce qui implique que l'on gagne en audience en hurlant plus fort qu'eux des accusations publiques grotesques et en appelant à la convergence d'un front des faux-culs unis dans la pureté gauchiste.

Enfin il y aura ceux qui comme moi, guerrier de clavier au petit pied s'inventant de multiples personnalités du fin fond de sa cité lugubre et ruminant des idées de revanche contre la société pour m'avoir fait si laid et si dégarni, pesteront contre ce monde vraiment trozinjuste et trop méchant, et comme c'était mieux avant, du temps de Papounet et de la mère patrie soviétique.

La hyène peut aussi se faire caniche larmoyant à ses heures perdues, entre deux séances d'épilation. Et pervers, n'ayant guère le courage d'affronter le monde tel qu'il est, préférant vivre dans d'utopiques illusions décrépies, rêves révolutionnaires éthérés où les coupables seraient punis. De ceux qui finiront par sublimer leur condition de raté masochiste et dénonceront les autres qui n'ont pas la même mentalité d'esclave servile du Parti, de toutou aux ordres du facteur, ne pouvant vivre sans fouets ni menottes, parce qu'ils sont incapables de s'assumer en tant que zindividu. Pour passer cette aigreur, il me faut croire à des fables risibles, comme par exemple imaginer être un écrivain maudit, un journaliste incompris, un théoricien de la rébellion, un artiste indispensable de la culture gauchiste, un phare pour les masses aliénées, et bien d'autres auto-fictions encore. Tout aigri et jaloux, je me rends bien compte que ma vie est merdique et que j'habite dans une cité pourrie entouré de racailles dépolitisées qui se moquent de moi lorsque je passe à vélo. Alors comprends-moi camarade lecteur, il faut bien que je tourne cette frustration vers quelque chose, n'importe quoi, pourvu que ça me donne l'impression d'exister, c'est pourquoi je fais le pitbull au service d'ordre des manifs et aussi, j'ai renouvelé mon abonnement à "Tout Est à Jeter"...

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