Tiroflan et Rantanplan font un billet
(Dans notre série "Comme je m'ennuie et que je suis ridiculisé à chaque billet, je vais laisser d'autres prendre le guidon", un texte de Chlorée Tristoune, qui non seulement me fait l'honneur d'être une amibe, mais est également une future collaboratrice du projet Rien N'est À Garder, nom prémonitoire s'il en est).
Le travail est chiant et elle répète ses mouvements d’ongles sur les claviers plastiques du service. Le regard perdu derrière les pixels de l’écran, l’esprit occupé par la disparition de la boite de trombone, son corps endormi dans les crispations de la position assise en est à la troisième heure. Non, deux heure quarante minutes. Ne pas bouger. Ne pas péter. Le premier qui bouge, le premier qui pète va être immédiatement désigné volontaire pour aller allumer la clim. En attendant ce faux mouvement, l’air chaud et humide transforme le bureau en une petite jongle où, lentement mais sûrement, monte les effluves un peu lourdes de la sueur des employés coincés dans cette torpeur quasi morbide de l'absence totale de toute volonté d'effectuer le moindre petit mouvement.
Ce qui la préoccupe, finalement, ce n’est pas tant cette histoire de rémunération au résultat dont ils parlent depuis ce matin, celle « qui introduit de scandaleuses méthodes néolibérales de management » (et tout le monde voit qui je veux dire). Après tout, ils font ce qu’ils veulent. Mais surtout, elle se demande pourquoi l’autre de ce matin parlait « de méthode bidon ». Peut-être qu’il n’était pas très dans son assiette et que la chef de service, celle qu’il appelle « garce », l’avait pris en grippe. Ou alors c’était de l’humour. Bref, en tous cas celui-là n’aime pas les changements, ou ce qu’il qualifie comme tels.
La question du zèle est finalement bien présente dans l’univers ouaté du prolétariat de l’administration publique. Éternel serpent de mer du service public et sujet de rigolade intarissable à la cafette, l'absence totale de toute motivation au boulot entraîne des stratégies de lenteur dans la manipulation des classeurs et carnets à souches, des pauses clopes répétitives, en passant par le soulagement que procure non pas le moment passé à pisser, mais celui que donne provisoirement le moment passé à aller pisser, c’est-à-dire le moment pris dans sa globalité et ses multiples dimensions (on s’échappe un instant pour aller voir la couleur du 51, le temps, l’espace, l’extérieur, le blog de CSP pour rire un coup, ...).
La taille du geste, son amplitude, sa vitesse, l’égarement camouflé des pensées d'emmerdement profond dans un job qui nous plaît pas mais qu'on fait quand même parce qu'on est bien au chaud ; le calcul minutieux des pauses déjeuner et de l’accumulation des heures sup’ pour préparer le prochain vendredi chômé et le lundi suivant à regarder pousser le yucca chez soi ; la culpabilité claironnée - puis très vite évacuée - dans l’esprit de l’employé de bureau lorsqu’il ne re-entame pas une nouvelle tâche pour cause du « c’est presque l’heure » : tout cela est calculé, et constitue le matériel de survie de base que le glandouilleur de l’administration se doit de nourrir et d’entretenir avec assiduité pour ne pas s'endormir au travail. Sans doute comme le postier. Ou l'électricien...
Le zèle est donc bien là, dans la recherche, l'optimisation et le peaufinement de toutes les méthodes pour remettre à plus tard ce qui constitue un effort, et prendre tout de suite le temps d'y réfléchir et de planifier avec force des dépenses d'énergie ... des autres. Et le management s’occupe de remédier aux potentielles attitudes de franc-tireur. Le zèle, cette ramification logique de la rétribution personnelle pour un travail bien fait, aura été entièrement dirigé vers l'élaboration des procédés les plus malins pour ne pas en branler une.
Dès lors, ce n’est évidemment pas « l’excès de zèle » le problème. Ca risque pas. Ce qui brouille, embrouille, c’est le sentiment qu’ont ceux qui débarquent et croient réellement obtenir quelque chose d'un travail réellement effectué face à ceux connaissent toutes les ficèles pour, justement, éviter de le faire.
Et finalement, les nouveaux apprennent les ficèles, deviennent moins nouveaux et trouvent toujours quelques nouveaux pour reprendre le flambeau du Travail A Faire Pour De Bon pendant que, progressivement, les nouveaux plus si nouveaux se rangent à l'évidence : on peut se faire chier en faisant le travail, ou s'emmerder royalement en n'en branlant pas une. Pour le même prix.
Eh oui, ici, les bureaux sont bien ceux de l’administration publique, et s’il y a bien, certes, un peu de piston et de promotions injustes de temps à autre, la glandouille reste de mise... Et plutôt que démissionner, et retrouver enfin un vrai travail qui veut dire quelque chose, chacun, on va se recroqueviller sur sa petite médiocrité et admettre finalement que, si on reste, c'est que tout tristoune et emmerdé qu'on soit, on aime bien glander au bureau, en attendant que l'horloge passe de 16:59 à 17:00 dans un tic tac soigneusement étalonné.
Car finalement, trouver un autre job, c'est prendre le risque d'être confronté au vrai monde, celui où, justement, il faut prouver sa valeur, autrement qu'en bâtissant des stratégies pour esquiver le travail. Et c'est surtout prendre le risque de découvrir... qu'on ne vaut pas tripette, qu'on est employable exclusivement par ceux qui ne savent absolument rien faire d'autre que regarder l'horloge. Et ça, ce serait une vraie remise en question !
Alors, pour éviter cette remise en question, on va renommer cet emmerdement profond de faire un job absolument sans intérêt et totalement inutile. On va l'appeler Souffrance, et, armé de ce petit mot, on va tenter de faire croire à ceux qui bossent vraiment qu'on est des malheureux.
(Ca marche de moins en moins bien. Mais y'a des blogs, alors on en profite, on essaye.)
Le travail est chiant et elle répète ses mouvements d’ongles sur les claviers plastiques du service. Le regard perdu derrière les pixels de l’écran, l’esprit occupé par la disparition de la boite de trombone, son corps endormi dans les crispations de la position assise en est à la troisième heure. Non, deux heure quarante minutes. Ne pas bouger. Ne pas péter. Le premier qui bouge, le premier qui pète va être immédiatement désigné volontaire pour aller allumer la clim. En attendant ce faux mouvement, l’air chaud et humide transforme le bureau en une petite jongle où, lentement mais sûrement, monte les effluves un peu lourdes de la sueur des employés coincés dans cette torpeur quasi morbide de l'absence totale de toute volonté d'effectuer le moindre petit mouvement.
Ce qui la préoccupe, finalement, ce n’est pas tant cette histoire de rémunération au résultat dont ils parlent depuis ce matin, celle « qui introduit de scandaleuses méthodes néolibérales de management » (et tout le monde voit qui je veux dire). Après tout, ils font ce qu’ils veulent. Mais surtout, elle se demande pourquoi l’autre de ce matin parlait « de méthode bidon ». Peut-être qu’il n’était pas très dans son assiette et que la chef de service, celle qu’il appelle « garce », l’avait pris en grippe. Ou alors c’était de l’humour. Bref, en tous cas celui-là n’aime pas les changements, ou ce qu’il qualifie comme tels.
La question du zèle est finalement bien présente dans l’univers ouaté du prolétariat de l’administration publique. Éternel serpent de mer du service public et sujet de rigolade intarissable à la cafette, l'absence totale de toute motivation au boulot entraîne des stratégies de lenteur dans la manipulation des classeurs et carnets à souches, des pauses clopes répétitives, en passant par le soulagement que procure non pas le moment passé à pisser, mais celui que donne provisoirement le moment passé à aller pisser, c’est-à-dire le moment pris dans sa globalité et ses multiples dimensions (on s’échappe un instant pour aller voir la couleur du 51, le temps, l’espace, l’extérieur, le blog de CSP pour rire un coup, ...).
La taille du geste, son amplitude, sa vitesse, l’égarement camouflé des pensées d'emmerdement profond dans un job qui nous plaît pas mais qu'on fait quand même parce qu'on est bien au chaud ; le calcul minutieux des pauses déjeuner et de l’accumulation des heures sup’ pour préparer le prochain vendredi chômé et le lundi suivant à regarder pousser le yucca chez soi ; la culpabilité claironnée - puis très vite évacuée - dans l’esprit de l’employé de bureau lorsqu’il ne re-entame pas une nouvelle tâche pour cause du « c’est presque l’heure » : tout cela est calculé, et constitue le matériel de survie de base que le glandouilleur de l’administration se doit de nourrir et d’entretenir avec assiduité pour ne pas s'endormir au travail. Sans doute comme le postier. Ou l'électricien...
Le zèle est donc bien là, dans la recherche, l'optimisation et le peaufinement de toutes les méthodes pour remettre à plus tard ce qui constitue un effort, et prendre tout de suite le temps d'y réfléchir et de planifier avec force des dépenses d'énergie ... des autres. Et le management s’occupe de remédier aux potentielles attitudes de franc-tireur. Le zèle, cette ramification logique de la rétribution personnelle pour un travail bien fait, aura été entièrement dirigé vers l'élaboration des procédés les plus malins pour ne pas en branler une.
Dès lors, ce n’est évidemment pas « l’excès de zèle » le problème. Ca risque pas. Ce qui brouille, embrouille, c’est le sentiment qu’ont ceux qui débarquent et croient réellement obtenir quelque chose d'un travail réellement effectué face à ceux connaissent toutes les ficèles pour, justement, éviter de le faire.
Et finalement, les nouveaux apprennent les ficèles, deviennent moins nouveaux et trouvent toujours quelques nouveaux pour reprendre le flambeau du Travail A Faire Pour De Bon pendant que, progressivement, les nouveaux plus si nouveaux se rangent à l'évidence : on peut se faire chier en faisant le travail, ou s'emmerder royalement en n'en branlant pas une. Pour le même prix.
Eh oui, ici, les bureaux sont bien ceux de l’administration publique, et s’il y a bien, certes, un peu de piston et de promotions injustes de temps à autre, la glandouille reste de mise... Et plutôt que démissionner, et retrouver enfin un vrai travail qui veut dire quelque chose, chacun, on va se recroqueviller sur sa petite médiocrité et admettre finalement que, si on reste, c'est que tout tristoune et emmerdé qu'on soit, on aime bien glander au bureau, en attendant que l'horloge passe de 16:59 à 17:00 dans un tic tac soigneusement étalonné.
Car finalement, trouver un autre job, c'est prendre le risque d'être confronté au vrai monde, celui où, justement, il faut prouver sa valeur, autrement qu'en bâtissant des stratégies pour esquiver le travail. Et c'est surtout prendre le risque de découvrir... qu'on ne vaut pas tripette, qu'on est employable exclusivement par ceux qui ne savent absolument rien faire d'autre que regarder l'horloge. Et ça, ce serait une vraie remise en question !
Alors, pour éviter cette remise en question, on va renommer cet emmerdement profond de faire un job absolument sans intérêt et totalement inutile. On va l'appeler Souffrance, et, armé de ce petit mot, on va tenter de faire croire à ceux qui bossent vraiment qu'on est des malheureux.
(Ca marche de moins en moins bien. Mais y'a des blogs, alors on en profite, on essaye.)
3 commentaires:
"- Dis, tu crois que le naze qui fait CSP il va lire cette version des couinements qu'il pond ?
- Oh oui, certainement. Il nous lit assidument. Ca lui file des boutons, mais il nous lit.
- Cooooool."
Wouaouww!
Le texte d'origine etait deja une merde imbitable ecrite avec les coudes mais celle ci est encore pire...Bravo!
CSP, Bira et tous les invertebres d'en face passent des plombes ici...je le sais..chuuut
c'est comme ça que bira est devenue schizo
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