samedi 18 juillet 2009

A l'école des clowns

J'en parlais justement à mon psy l'autre jour, un trotskyste orthodoxe lui aussi: ce qui nous différencie des autres bandes de contestataires au petit pied, c'est notre sens de la fête, entretenu par une promiscuité virile et fraternelle jamais démentie. Surtout pendant les vacances organisées par le Parti, dans nos camps d'entraînement où on joue à faire la révolussion (avec deux S, comme dans Russie, URSS, et Schutzstaffel) en se mettant des races épouvantables à la 8.6. Quand on n'est pas trop bourrés, il y a aussi des débats citoyens sur les bienfaits de la société communiste, avec des images pour expliquer. Pas trop de texte, ou alors écrit très gros, à coups de slogans bien gras. Des fois, des coloriages. Bref...

Finalement c'est ça la politique, de base, des recettes pas compliquées.

D'abord : identifier l'ennemi. Puis trouver des slogans simplistes fossilisés dans une gangue idéologique assez archaïque pour bien pénétrer les cerveaux ramollis. Et on s'y connaît un peu dans les sectes trotskyste, niveau pénétration, infiltration et cerveaux ramollis. C'est tout bénèf, médiatiquement parlant.

Ces débats citoyens sont un peu chiants, certes, mais essentiels pour entretenir notre réputation d'échangistes d'idées altercomprenantes. Surtout vu que les meufs sont rares. Le Parti interdit de tirer son coup. Faut choisir: avoir une vie sentimentale ou être un militant révolutionnaire. On n'imagine pas les surhommes du NPA compter fleurette aux gueuses féministes moustachues de notre milieu, ça ferait pas sérieux. Du tout. Désordre. Cépaspossible. Militant du NPA c'est un sacerdoce, je vous jure. Mais grâce à la sécu, mon psy me soutient.

Heureusement on peut se défouler avec les activités sportives. On tape dans des baudruches, il y a des paintballs aussi, on tire sur tout ce qui bouge, flingue à tout va, ça fout de la peinture rouge partout, même sur les poubelles. Qu'est-ce qu'on s'éclate ! Mais rien ne vaut les concours de binouze avec les camarades. Moi je les torche tous, je suis un dur, c'est connu. D'ailleurs j'arrête pas de le dire sur mon autre blog, celui où je raconte ma vie, mes aventures trépidantes de militant dur de chez dur.

On me surnomme même Monaco. Et pas pour la course de F1, hein !



Il y a toujours une bonne ambiance dans notre école du cirque bolcho. Grosse camaraderie, on chante des chansons paillardes en jouant à la lutte finale, vêtus de nos combinaisons en cuir, le regard tendu vers l'Organe (le Central, celui du Comité), jamais à court de nouveaux jeux.

On travaille dur pour ça, avec force papouilles, tapes sur les fesses et surtout des quantités énormes de bière prolétarienne bon marché. Ouais, faut pas trop déconner avec ça, les tchékistes du parti veillent au grain. Et ils ont bien raison, comme je l'ai dit, c'est important de surveiller sa forme prolétarienne, surtout lorsque les sphincters sont dilatés. Un bon militant se protège l'anus. C'est une discipline de tous les instants pour tuer le bourgeois qui sommeille au fond de nous, la bête immonde consumériste qui tente de nous aliéner de l'intérieur. Alors je serre les fesses. Ca finit par me procurer du plaisir, à force.

C'est un peu notre problème chez les trotskystes, vu qu'on vient surtout d'un milieu d'intellos déclassés, d'étudiants romantiques et de fils à papa : des vrais ouvriers et prolos, on n'en a jamais vu qu'en photo, dans notre magazine, Rouge. Alors on apprend à les reconnaître, petit à petit.

Par le cinéma de propagande aussi, les cadres du Parti nous passent des vieux films en noir et blanc sur les grandes grèves ouvrières, usines occupées et séquences nostalgie sur les grandes purges. Comme les glorieux pionniers trotskystes du POUM en 36. C'était le bon temps, ils savaient y faire, niveau massacre. Les gars du POUM, c'était pas du trotskysme de salon comme aujourd'hui. Bourgeois fusillés en masse, fosses communes, ça rigolait bien à l'époque.

Et puis le nom. POUM, c'est mieux que NPA. Moins ambigu.

C'est là que j'ai eu mes premières émotions, avec la découverte de mon film préféré, "Soviet Story". Y a aussi un autre film que j'adore, sur le massacre de ces tapettes tarlouzées d'anarchistes à Kronstadt, par tonton Trotsky en personne, avec ses légions de l'armée rouge. Rien que d'en parler j'en ai la larme à l'oeil, un petit frisson de plaisir parcourt mes tempes bien dégagées.

C'est qu'on a une mission à accomplir, développer la conscience de classe ne laisse guère de répit. Voilà pourquoi j'ai un psy qui m'aide dans cette tâche et me donne des petites pilules - rouges bien sûr - quand je me sens faiblir. En passant devant une vitrine un peu trop tentante (vu que mon t-shirt du Che commence à boudiner sévère ma bedaine), si je sens monter la pulsion consumériste, hop je prends ma petite pilule pour être à nouveau opé. Parfois c'est dur, quand mon psy à oublié de me filer mes doses, l'envie prend le dessus, faut que je l'assouvisse, c'est plus fort que moi. Pour me soulager, je vais voler un milkshake, ou un soutif dans le tiroir de la sœur à Butch.

Je suis comme ça.

Bref, grosse camaraderie. C'est la fête du slip. Avec Butch et mes camarades du NPA, on est des drôles de zigs, de sacrés loustics.Tenez, on n'est jamais à court d'idées pour oublier que la révolussion (avec deux S, comme dans Francorusse, c'était une marque de flan - prémonitoire, non ?) n'aura pas lieu.



On se raconte des histoires, on invente des scénarios, des jeux de rôles, on vit dans un monde d'auto-fiction. Dans la série "Goulag & Tigres en papier", on voit des fascistes partout, on démasque les sociaux-traîtres. C'est la persuasion qui compte. On se met même à imaginer le facteur jovial comme nouveau guide d'une gauche de gauche (selon l'euphémisme médiatiquement consacré), à la pureté idéologique sans faille. Cette pureté qu'on appelle de nos vœux en couinant "UNIIIIIITEEEEEEEE", tout en tortillant du cul pour se démarquer des autres sectes trotskystes et frondgôcheuses. C'est simple, dans ce conte à dormir debout dont on est les héros, les gardiens de la pureté révolutionnaire, tout ce qui n'est pas NPA est de drouate.

On a même fini par se persuader d'une histoire incroyable, à force de se bourrer le mou collectivement : le PS serait un parti de drouate, voire d'extrême drouate. On l'avait pourtant complètement infiltré, vu que les barons actuels du PS sont de vieux copains trotskars impénitents, comme Juju (bling bling) Dray, Henri Weber, Cambadelis, le Kondukator Mélenchon, Harlem Désir et même Yoyo en son temps qui était une taupe à nous, d'obédience lambertiste. C'est fou, ça tient pas debout, mais on y croit quand-même dur comme fer, avec Butch.

Grâce à la drogue et à la 8.6.

D'ailleurs voici la dernière blague : Aubry, nouvelle Dame de Fer, la réincarnation de Thatcher, j'vous dis. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais au goulag.

On est restés de grands enfants finalement, qui aimons rêver un monde mythologique de contes de fée, de monstres et de magiciens alcooliques.

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